Page 13 - Adec-Bulletin 05-2006
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Bulletin de l’Association “Les Amis de Comiac” (ADEC)                                                        Numéro 5  - 2006 - Page 13

             beaux  meubles  servaient  de  combustible.      ce moment-là, j'étais à une dizaine de mè-
             Quel  gâchis!  Mais  nous  vivions  bien  une    tres de lui.
             période d'exception.

                   Comment j'ai (peut-être ?)

                           sauvé une vie


             5  mars  1945.  C'était  le  deuxième  jour  de
             notre libération. Nous avions quitté de bon
             matin  la  ville  de  Schivelbeim,  où  nous
             avions  passé  la  nuit.  Les  armes  s'étaient
             tues. Mais, à la façon impressionnante dont
             les Russes s'étaient retranchés, aux abords
             de  la  ville,  on  pouvait  craindre  qu'il  ne
             s'agisse  seulement  d'un  calme  précaire.              Urbain (à gauche) pendant la guerre,
                                                                            avec deux prisonniers
             Nous avons donc pris la route, car il y avait
             des  Allemands  dans  les  parages.  Pour        Les  deux  gaillards  qui  l'avaient  amené,
             confirmer leurs dires, on entendait par mo-      sont  venus  me  prendre,  un  par  chaque
             ments le crépitement rageur des armes au-        bras, et m' ont littéralement porté en face
             tomatiques dans les bois du voisinage.           de leur prisonnier. Je n'en menais pas lar-
                                                              ge. Ils ont dû le comprendre car l'un d'eux
             Nous sommes entrés dans la maison. Com-          m'a dit de ne pas avoir peur. Ce n'est pas à
             me nous n'avions pas déjeuné, un plat rem-       moi  qu'ils  en  voulaient.  Leur  désir  était
             pli de rillettes (préparé Dieu sait par qui ?)   tout  simple:  interroger  leur  prisonnier.  Et
             a attiré notre attention. Nous y avons fait      ils comptaient sur moi pour le faire.
             honneur  sans  demander  l'autorisation  à
             qui  que  ce  soit.  Les  Russes,  de  ce  côté-là,   Je m'exécutais de bonne grâce, en français,
             n'étaient  pas  regardants.  Dans  la  maison    bien  sûr.  Maîtrisant  trop  mal  le  russe,  je
             aussi les précautions étaient prises. Un fu-     transmettais les réponses à un Polonais qui
             sil  mitrailleur  était  installé  à  une  petite   se  trouvait  là  (en  langue  allemande).  Ce
             fenêtre d'où il pouvait prendre la route en      Polonais  connaissait  aussi  bien  l'allemand
             enfilade... Nous sommes  ressortis. Un jeu-      que le russe. D'où venait-il ? Les Allemands
             ne soldat très excité, mais bienveillant, à la   étaient-ils  nombreux  ?  Etc.  J'ai  plaidé  de
             physionomie  intelligente,  s'est  adressé  à    mon  mieux  en  sa  faveur.  La  camionnette
             nous, fier de ses galons de lieutenant, qu'il    est  repartie  avec  les  deux  Russes  et  leur
             avait  gagnés  la  veille,  au  combat.  Nous    prisonnier.  Mon  camarade.  témoin  de  la
             avons  eu  droit  à  un  petit  discours  sur  les   scène et fin observateur, m'a dit :
             méfaits des fascistes, qu'il fallait abattre à
             tout prix.                                       «Tu  vois,  ils  se  sont  radoucis.  Quant  à  ce
                                                              pauvre garçon,  si tu avais vu le regard de
             Au même moment est arrivée une camion-           reconnaissance qu'il a eu à ton adresse! Tu
             nette,  d'où  sont  descendus  deux  soldats     lui  as peut-être sauvé la vie ! »  Puisse-t-il
             russes  et  un  prisonnier  allemand.  Ce  der-  avoir dit vrai !
             nier a tout de suite compris (à nos unifor-
             mes)  que  nous  étions  Français  et  en  bons   Un peu plus tard, nous reprenions la route.
             termes  avec  les  Russes.  Il  m'a  aussitôt    Selon nos amis Russes. il n' y avait plus de
             adressé la parole, dans un français parfait,     danger de rencontrer d'Allemands armés.
             me disant qu'il était Alsacien enrôlé de for-
             ce, et qu'on voulait le fusiller. Pas moins ! A
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