Page 18 - Adec-Bulletin 05-2006
P. 18
Bulletin de l’Association “Les Amis de Comiac” (ADEC) Numéro 5 - 2006 - Page 18
NOËL DE CAPTIVITÉ
par Philippe DUMAINE
En ce temps-là des véritables crépuscules
Des véritables nuits percées de cathédrales
Où les villes changeaient de mains comme des filles,
Le sang du viol gluant dans leur toison de fer ;
Ce qui nous a manqué le plus c'étaient des yeux.
Une âme, au fond, c'étaient des bras qui vous étouffent,
Des ventres et des seins sous de souples étoffes,
Des bouches pour baisers où l'on meurt souffle à souffle.
Lorsque des étrangers aux langues gutturales,
Des officiers sortis des contrées du malheur,
Ont dans l'arbre allumé des centaines d'étoiles,
Nous avons vu briller de frêles jeunes filles.
Par les chemins secrets enneigés sous la lune
Elles étaient venues de villes inconnues,
Cachées sous les manteaux des Dames Augustines,
Chargées de fruits de givre et de fleurs lumineuses.
Après avoir troué la tristesse du monde,
Elles étaient venues avec des mains si chaudes,
Des gestes parfumés de tremblantes promesses,
Valant ces biens-perdus, l'amour, la liberté.
Le poète Philippe Dumaine, de son vrai nom Robert Thenon, est décédé 16 mai
2005 à Paris à l’âge de 89 ans. Ingénieur de métier, il est l’auteur de vingt trois
recueils de poésie, du roman « le Tunnel » et d’essais qui lui ont valu, entre autres,
le Grand prix des Poètes français en 1985.
Membre du Comité de direction de la revue Poésie 42,43,44 qui rassembla sous la
houlette de Pierre Seghers les poètes de la Résistance, il avait fondé la revue « les
Vivants », lieu d’écriture d’anciens prisonniers et déportés. Il fut aussi secrétaire
général de la Société des gens de lettres de 1967 à 1974. Le poème ci-dessus a
paru dans la revue « les Étoiles du Quercy » en Janvier 1945.