Page 18 - Adec-Bulletin 03-2004
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Bulletin de l’Association “Les Amis de Comiac” (ADEC)                                                    Numéro 3  - 2004  -  Page 18





                                              LA PETITE RÉFUGIÉE

                                                                                            Par Renée CAYRE





                    es  réfugiés  arrivèrent  fut  une  fille  qui  leur  fut     nouveau  et  différent  pour
                    p
                L ar  un  soir  de  novem-       confiée !                        elle.  Les  visages  inconnus,
                bre 1943. La nuit était déjà                                      la  grande  cheminée  noire
                tombée  depuis  longtemps  Je  revois  comme  si  c’était         où  brûlait  un  grand  feu  et
                lorsqu’un  autobus  bringue-     hier, sa frêle silhouette des-   cet  étrange  langage qu’uti-
                balant  s’arrêta devant  chez  cendre du car et surtout l’il-     lisaient mes parents, le pa-
                nous, à l’entrée du village.     lumination  de  son  regard      tois  qu’elle  connaîtrait  si
                                                 lorsqu’elle  apprit  que  son    bien plus tard.
                Une dame en descendit, en-       frère  était  accueilli  dans
                tra  dans  notre  cuisine  et  u n e       m a i s o n     d u    Nous fîmes ce que nous pû-
                nous annonça qu’elle devait  «  Château  »  (1). On  promit  mes pour la mettre à l’aise.
                « distribuer » des petits ré-    que  dès  le  lendemain  ils     Nous lui posâmes quelques
                fugiés,  chez  divers  habi-     pourraient se voir et chaque     petites  questions  :  quel
                tants de la commune.             jour  autant  qu’ils  le  vou-   était son nom ? où habitait-
                                                 draient.                         elle ? quel était son âge ? 9
                                                                                  ans… Comme elle était pe-
                                                 C’est ainsi que Raymond et       tite ! bien plus que moi qui
                                                 Raymonde  entrèrent  dans        avait 7 ans. Elle était pale
                                                 notre vie. Raymonde devint       et paraissait fatiguée.
                                                 ma grande sœur pour deux
                                                 longues  années.  Raymond        Nous  apprîmes  plus  tard
                                                 découvrit  un  frère  et  de     qu’elle  avait  quitté  la  ré-
                                                 nouveaux parents qu’il ché-      gion   parisienne     depuis
                                                 rit toute sa vie : chaque an-    deux  jours,  cahotée  dans
                                                 née,  ils  vinrent  tous  les    des  trains  et  des  autobus
                                                 deux  passer  leurs  vacances    des plus inconfortables.
                                                 scolaires  dans  leur  famille
                                                 d’accueil pour le plus grand     Ma  mère  emplit  mon  as-
                                                 bonheur de tous.                 siette  de  soupe  de  pain  de
                                                                                  seigle puis la sienne. Je me
                                                 Ce premier jour restera tou-     mis à manger d’un bon ap-
                                                 jours  gravé  dans  nos  mé-     pétit,  il  fallait  donner
                                                 moires.  C’était  l’heure  du    l’exemple.  Raymonde  ne
                                                 repas du soir. On fit asseoir    voulut  pas  y  goûter.  On  y
                   Renée et Raymonde en 1943     Raymonde  à  coté  de moi,  à    ajouta une bonne rasade de
                                                 la  longue  table  de  la  cuisi-  lait,  elle  n’en  voulut  pas
                Mes  parents  ne  furent  pas  ne.                                davantage.  Après  vint  «  la
                surpris.  Ils  avaient  depuis                                    pescajoune  ».  Même  refus.
                longtemps  demandé  à  ac-       Je la revois encore baissant     Et  tous  de  l’inviter  à  goû-
                cueillir  un  de  ces  enfants.  la  tête  promenant  un  re-     ter.    Rien  à  faire.  Mais  la
                Ils  avaient  donné  leur  pré-  gard inquiet sur tout ce qui     faim  aidant  elle  mangea
                férence  pour  un  garçon,  ce  l’entourait.  Tout  était  si     quand  même  un  fromage
                                                                                  blanc  et  un  morceau  de
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