Page 19 - Adec-Bulletin 03-2004
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Bulletin de l’Association “Les Amis de Comiac” (ADEC)                                                  Numéro 3  -  2004  -  Page 19



                Toutes  ces  bonnes  choses      au sommet le plus haut du  pour  choisir  un  tissu  pour
                qu’elle  dédaigna  ce  soir-là   pré  nous  récitions  à  haute  confectionner  deux  robes
                elle s’en régala par la suite    voix   nos    leçons,   nous  semblables.
                et surtout la pescajoune !       jouions, nous chantions. Je
                                                 lui  apprenais  des  chanson-   Pendant la guerre le tissu
                Que  n’en  a-t-on  parlé  plus   nettes  en  patois,  elle  quel-  était rare. Raymonde choi-
                tard de cette pescajoune !       que refrain parisien.           sit  un  velours  grenat,  moi
                                                                                 un  velours  à  pastilles  de
                Chaque  année,  revenant         Suivant  la  saison  nous  pé-  couleurs.
                dans  la  maison  familiale,     chions des écrevisses, nous
                elle la réclamait toujours et    dénichions des cèpes ou des  Louise Mas, du Moulin de
                personne  ne  les  réussis-      girolles, nous faisions cuire  Bertrandes,  notre  voisine
                saient comme ma mère.            des châtaignes dans un pe-      et   habile     couturière,
                                                 tit four improvisé dans une  confectionna  les  deux  ro-
                 Depuis  nous  en  avons  fait   murette.                        bes.  Nous  avons  conservé,
                des  pescajounes  avec  de                                       dans  un  coin  du  grenier,
                bons œufs et du bon lait, au     Raymonde  participait  à  des lambeaux de ces robes,
                feu  de  cheminée,  mais  ja-    tous   les    travaux     des  reliques  précieuses,  té-
                mais  Raymonde  ne  les  a       champs, maniait le râteau,  moins de nos deux années
                trouvées aussi savoureuses       aidait aux récoltes.            d’intense intimité.
                que celles que lui faisaient
                ma mère. La main a chan-         A  la  maison,  elle  a  servi  Tous  les  réfugiés  fréquen-
                gé, elles n’ont plus le même     des  petits  coups  de  rouge,  tèrent  la  même  école  et
                goût.                            pesé les tourtes de pain sur  devinrent  rapidement  des
                                                 la  balance  Roberval,  pour  enfants du village. Nos dis-
                Dès  le  soir  de  son  arrivée   son  plus  grand  plaisir  et  putes  enfantines  étaient
                nous  avons  partagé  le  mê-    celui   de   mes    parents.  évidemment ponctuées des
                me  lit,  un  lit  de  coin  situé   Quant  à  eux,  ils  avaient  «   parisiens   têtes   de
                dans  la  chambre  de  mes       désormais deux filles qu’ils  c h i e n s    »    e t    l e s
                parents.                         aimaient  jour  après  jour  «  campagnards  têtes  de
                                                 autant l’une que l’autre.       lard  »,  mais  c’était  sans
                A cet instant, les échanges                                      importance.
                furent  brefs,  nous  étions     Au sabotier voisin (2) on fit
                trop intimidées. Mais dès le     faire  des  sabots  de  bois.  Nous  les  aimions.  Ils  es-
                lendemain, miracle de l’en-      Moi,  j’y  étais  très  à  l’aise,  sayaient notre patois, nous
                fance, je sus tout de sa vie,    j’y étais habituée. Raymon-     tentions  d’imiter  leur  ac-
                elle  sut  tout  de  la  mienne.   de  ne  put  les  supporter.  cent pointu, non pour nous
                Nous devînmes vite insépa-       Pour elle mes parents choi-     moquer,  simplement  pour
                rables.                          sirent des galoches en  cuir  savourer la nouveauté.
                                                 à  semelles  de  bois.  Ma
                Nous  avons  tout  partagé:      grand  mère  nous  tricota  Raymonde  n’a  rien  oublié,
                les jeux, les tartines de pâ-    des chaussettes de la laine  ni  les  prés  au  milieu  des
                té ou de confiture, les petits   de  ses  moutons.  Nous  bois  où  nous  gardions  les
                travaux.  Quel  plaisir  de      avions  les  pieds  bien  au  vaches,  ni  la  cabane  où
                partir  après  la  classe  gar-  chaud.                          nous  allions  nous  abriter
                der  ensemble  notre  petit                                      lorsqu’il  pleuvait,  ni  les
                troupeau de vaches !             Un  jour,  ma  mère  nous  bords du ruisseau où nous
                                                 conduisit  chez  la  mercière,  avons tant joué et rêvé.
                Perchées sur des arbres ou       madame  Louise  Moncany,
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