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Bulletin de l’Association “Les Amis de Comiac” (ADEC) Numéro 4 - 2005 - Page 27
de l’hiver. Elles chantaient autour de l’é- lorsque, seule, dans un pré, elle surveillait
tang et ensuite elles faisaient un bon re- son petit troupeau… J’insistai: « Pourquoi t
pas ! Ses patrons étaient gentils, elle y re- -a-t-il plu ? » Elle ne répondit pas à cette
vint plusieurs années. question mais me dit « qu’elle avait pu lui
plaire parce qu’elle avait une constitution
- Et l’école, lui demandai-je, tu n’y allais robuste » ! C’était, me disait-elle, un atout
pas ? important, en ce temps là. J’avais cru com-
- Si, répondait-elle, quand il pleuvait et que prendre que son mari était chétif. Mais il
nous ne pouvions pas travailler dehors. J’é- était habile et exerça plus tard le métier de
tais heureuse lorsque je pouvais prendre le menuisier.
chemin de l’école, je courais !
Il se marièrent en 1898. En 1901 naquit
J’ai souvent imaginé cette grand-mère se une petite fille, Berthe. A Lavitarelle la mi-
pressant sous la pluie, ses petits sabots évi- sère devait être grande car, presque aussi-
tant les flaques. A l’école, me disait-elle en- tôt, elle partit à Saint Céré, en qualité de
core, elle était très attentive, avide d’ap- nourrice.
prendre. Mais elle se plaignait de passer
beaucoup trop de temps à réciter des priè- A Saint Céré
res, l’enseignement étant alors dispensé
par une religieuse. L’école des filles se trou- C’était dans une famille noble située au
vait « Au Château » dans une maison inté- cœur de la ville. Elle allaitait une petite
grée de nos jours dans la grange de mon- fille. Elle demeura dans cette famille deux
sieur Jean Vaysse et qu’à Comiac on appe- années qui la marquèrent profondément.
lait dans mon enfance « l’oustal dé lo Prâ-
to ». L’école des garçons se situait dans la Elle, qui n’avait jamais quitté sa campagne
petite maison, proche du four banal, que et sa vie misérable, découvrit un monde ab-
ma grand-mère acheta des années plus solument inconnu, une maison où va-
tard. quaient des domestiques, mais aussi une
société aux qualités remarquables. Les per-
Ainsi, en allant à l’école seulement quel- sonnes qu’elle côtoyait, disait-elle, faisaient
ques jours par an, elle apprit à lire et à preuve de grandes qualités morales, d’une
compter. Ces quelques rudiments lui per- grandeur d’âme insoupçonnée, de beaucoup
mirent ensuite de faire des opérations par de dignité dans les épreuves. Je l’entends
elle-même. L’exercice de son métier de encore : « Tu sais, ils sont comme nous, ils
marchande l’aida à se perfectionner et son ont leurs peines comme tout le monde mais
amour de la lecture améliora son expres- ils savent tout supporter sans le montrer et
sion écrite. Les lettres écrites de sa main, sans se plaindre ».
que j’ai conservées, montrent qu’elle se dé-
brouilla bien, par la suite. Les parents de la fillette étaient très bons,
et ils pratiquaient beaucoup la charité. Elle
Vint la période de son adolescence et de sa appréciait que de temps en temps ils lui
jeunesse. Elle rencontra celui qui devint permettent de revenir à Lavitarelle pour
son mari: Jean-Denis Village. Il habitait le voir sa petite fille qui lui manquait tant !
hameau de La Salesse (Comiac). Adolescen- Élevée par sa grand-mère, nourrie au lait
te et indiscrète, je lui demandai comment de vache, elle se portait bien. Ma grand-
s’était passée leur première rencontre. Elle mère l’embrassait, voyait sa bonne santé et
me répondit évasivement : « il venait m’ai- repartait vite en calèche. Elle venait tou-
der à garder ». Cette expression patoise si- jours avec la petite fille à laquelle il fallait
gnifiait qu’il venait lui tenir compagnie donner le sein…