Page 27 - Adec-Bulletin 04-2005
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Bulletin de l’Association “Les Amis de Comiac” (ADEC)                                                       Numéro 4  - 2005 - Page 28


             Ma grand-mère me racontait souvent sa vie  aussi, quarante ans après, je n’avais guère
             à  Saint  Céré.  Comme  elle  accompagnait  quitté  ma  campagne  et  je  ne  connaissais
             partout la fillette, elle pénétra dans beau-     que les grands cantous, le mobilier rustique
             coup de maisons nobles de cette ville et de  et j’ignorais tout  « des bonnes manières ».
             ses environs. Bien des années après elle me  Je me plongeais avec délices dans un moel-
             montrait telle ou telle maison où elle était  leux  fauteuil,  je  posais  mes  pieds  sur  un
             entrée. Elle y admirait les jolis meubles, les  tapis et je regardais les tableaux, les vitri-
             tapisseries,  les  boiseries,  les  portes  inté-  nes pleines de bibelots que je trouvais ma-
             rieures  garnies  de  vitraux…  Toute  sa  vie  gnifiques. Notre hôtesse s’intéressait à mes
             elle  conserva  de  cette  période  le  goût  des  études. Malgré son grand âge, cette person-
             belles  choses.  Bien  plus  tard,  elle  acheta  ne me paraissait délicieuse.
             dans  une  maison  bourgeoise  de  la  région,
             un  magnifique  buffet  à  deux  corps,  style            Épicière et mercière à Comiac
             Louis  XV,  que  je  conserve  précieusement,
             ainsi que quelques livres anciens dont elle      Ma grand-mère resta deux longues années
             avait apprécié la beauté et la valeur.           à Saint Céré puis elle regagna Lavitarelle
                                                              où  l’attendait,  sans  doute  avec  beaucoup
             Le  soir,  à  la  veillée,  elle  prenait  un    d’impatience  son  mari  et  toute  la  famille.
             « Balzac » dans son buffet et elle m’en lisait   En 1906 naquit sa seconde fille, Odette, ma
             des passages. Je pense, aujourd’hui, qu’elle     mère.
             y reconnaissait le monde découvert à Saint
             Céré. Elle en était toujours très admirative.    Son  séjour  à  Saint  Céré  lui  avait  ouvert
             Quel  bonheur  pour  moi,  petite  fille,  d’en-  d’autres  horizons.  Elle  y  avait  rencontré
             tendre  sa  voix  émerveillée.  J’étais  comme   des jeunes femmes robustes, du Ségala, qui
             dans  un  conte  de  fées,  je  posais  beaucoup   venaient proposer les produits de leurs fer-
             de questions et j’écoutais ses commentaires      mes. Cela l’incita à se lancer dans le com-
             personnels, si riches d’expériences.             merce.

             Elle évoquait des voyages fréquents, en ca-      Elle acheta, en 1914, une moitié de maison
             lèche,  jusqu’à  Beaulieu  où  résidaient  des   où elle  installa une épicerie-mercerie. Elle
             membres  de  sa  famille  d’accueil.  C’était    alla dans les fermes collecter les œufs frais,
             toute une expédition ! La route était boueu-     du  beurre,  des  écrevisses,  des  truites,  des
             se  et  caillouteuse  mais  l’été,  sous  l’ombre   champignons,  tout  ce  qu’on  lui  proposait.
             des rangées de platanes, c’était un voyage       Un lourd panier à chaque bras, elle descen-
             très  agréable.  Et  avec,  toujours,  la  petite   dait à Saint Céré où elle passait de maison
             fille à ses côtés.                               en maison pour proposer ses marchandises.

             Elle se souvenait aussi des visites dans un      Lorsqu’elle  n’avait  pas  tout  vendu,  elle
             château, près d’Aurillac, effectuées par éta-    poussait jusqu’à Autoire où elle connaissait
             pes. De nombreuses années plus tard, lors-       une famille qui lui ferait bon accueil et ne
             qu’elle allait à Saint Céré, pour les foires,    lui refuserait pas les restes. Il y avait tou-
             elle rendait visite à son ancienne patronne.     jours un arrêt à la pharmacie pour acheter
             J’étais pensionnaire au collège, elle m’y ve-    quelques commandes, genre coton thermo-
             nait  chercher  et  nous  allions  chez  cette   gène  ou  grains  de  Vals…  Puis  elle  est  re-
             grande  dame.  Elles  semblaient  toutes  les    prenait  la  route  de  Lavitarelle  dont  elle
             deux heureuses de se revoir, elles parlaient     connaissait tous les raccourcis, en particu-
             de  cette  petite  fille,  devenue  maman,  qui   lier à travers les bois.
             habitait  dans  une  autre  région.  Cela  me
             surprenait  et  m’enchantait  à  la  fois.  Moi
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